l’heure tourne et elle il y a cette folle impression qu’elle déteste avoir, mais qui semble la coller inlassablement, depuis qu’elle est gamine : ne servir à rien. elle regarde les aiguilles de l'horloge défiler, le sentiment qu’elles régressent à vue d’œil, tant le temps semble se prolonger. comme si sa souffrance silencieuse n’a pas encore dit son dernier mot. areum n’a rien trouvé de mieux à faire, assise là dans ce canapé délaissé, timidité qui émane de tout son être et qui paraît l’accompagner en permanence, à presque repulser le monde alentour. des coups d’œil à droite et à gauche, à regarder les amoureux s’embrasser langoureusement, à s’intéresser aux bandes d’amis qui rigolent aux éclats, à observer les jeunes boire à outrance. et areum se sent bien différente aujourd’hui, à ne pas avoir terminé son verre d’alcool, à être désespérément seule, habitude, vieille ombre qui ne la quitte jamais. areum presque inatteignable, entourée d’une foule qu’elle ne supporte pas. elle ne sait même pas pourquoi elle est ici, venue sans but. éternelle introvertie de sortie, et peut-être au fond de sa myocarde brisée, l’envie de voir à quoi ça peut ressembler, une soirée étudiante. areum étrangère à toute forme de célébrations juvéniles, préférant ordinairement la compagnie du néant, plutôt que celle de ses camarades de l’université. elle n’a pas sa place ici, elle le sait, alors à quoi bon rester ? l’étoile à la dérive soupire, prend son élan pour se redresser nonchalamment et pousse timidement les corps qui bloquent son passage jusqu’au lieu de ses convoitises. elle fait mine de ne pas entendre les blasphèmes indiscrets qui se lancent sur son chemin, la blâmant de partir aussi tôt alors que la fête vient de commencer. éphémèrement fermée à toute forme de critiques, elle vogue entre les passants, se précipite aux escaliers de cette grande villa où ils ont tous été conviés, à chercher le calme avant de définitivement s’éclipser. vue des toilettes comme un miracle. areum observée silencieusement, suivie à son insu et poussée violemment dans la pièce vide. du moins, ce qu’elle aurait espéré. cling, porte verrouillée, alors qu’elle relève timidement les yeux vers la personne devant. non, pas elle. ouvrez la porte ! qu’elle s’emploie à dire, prise de panique, à tambouriner sur la seule issue de sortie.

J’étouffais dans la foule compacte qui se densifiait davantage à mesure que les heures défilaient, et je me maudissais de m’être fait enrôlé dans cette soirée où je n’avais décidément pas ma place. Comment avais-je pu me laisser convaincre ? J’observais les étudiants qui avalaient leurs boissons avant de s’en resservir un nouveau verre plein. L’alcool s’échangeait de main en main et je pouvais en voir les effets presque comme un domino : les gestes qui devenaient lents, les yeux vitreux, le sourire hagard… les symptômes d’une contagion à laquelle je me refusais de succomber… et pourtant. C’est au détour d’un couloir que je la vis. Elle affichait une mine fermée, perdue dans ce dédale d’hommes et de femmes qui ne savaient plus que crier pour se faire comprendre. Si je m’évertuais à ne pas la croiser sur le campus, je sentis mon cœur louper un battement en comprenant qu’il ne lui faudrait que quelques pas pour m’apercevoir. Aussitôt, je fis volteface et percutais une silhouette dont le verre se renversa sur ma chemise. D’une voix pâteuse, il me gratifia de ses excuses, mais je ne pris pas le temps de le fusiller du regard que je fuyais déjà. La panique me faisait perdre toute notion de temps et d’espace, si bien que je ne me souvenais plus par où se trouvait l’entrée.

J’avançais tant bien que mal, jouant des coudes pour disperser les corps qui se trouvaient sur mon chemin, et en risquant un regard en arrière, je constatais qu’elle allait dans la même direction. L’effroi me fit trembler et je m’engouffrais alors derrière la première porte que je croisais : une salle de bain. Je me retrouvais prise au piège dans l’espace exigu de la pièce dans laquelle seule une minuscule lucarne pouvait apporter un peu d’air frais. J’espérais, je priais pour ne pas me retrouver face à elle, et s’il le fallait, je pouvais bien passer la soirée ici, attendre patiemment jusqu’au petit matin. Tremblante, je m’installais sur le battant des toilettes non sans malmener mes doigts de peur. Et comme si le destin se moquait de moi, comme s’il s’était donné pour mission de me faire payer… je sursautais lorsque la porte s’ouvrit brusquement. Areum. Pas ici. Pas maintenant. J’eus la sensation que les murs se rapprochaient, que l’air se raréfiait, je peinais à trouver mon souffle dans cette torture, et je pouvais seulement imaginer ce qu’elle ressentait face à son ancien bourreau. Je suis désolée… Mais la culpabilité de mes pensées resteraient insignifiante face à ce qu’elle avait enduré.

Les jointures de mes doigts blanchirent sous mes poings serrés, et si mes lèvres se fuyaient, aucun son ne passait l’ourlet de chair que je mordais ostensiblement. Les yeux rivés au sol, je priais à nouveau, que quelqu’un entende ses suppliques qui me déchiraient les entrailles et que nous puissions repartir, loin, très loin l’une de l’autre.  

pas encore. elle sent les frissons envahir son corps déjà trop martyrisé, la bouffée de chaleur qu'elle n'arrive pas à faire partir. paysage accablant d'une demoiselle au bord de la crise de panique. areum s'est longtemps pensée brave, mais l'est-elle réellement ? ses gestes trahissent ses sentiments paniqués. à tambouriner la porte, sanglots sur le point de sortir, et qu'elle retient avec les toutes dernières forces qu'il lui reste. elle ne veut pas montrer ses faiblesses. elle ne souhaite pas redevenir la poupée sur laquelle ils se sont tous déchaînés, passé qui la hante aujourd'hui, souffre-douleur perpétuel d'une bande de gamins arrogants, à laquelle gaeun appartient encore. son sang se glace, et elle sent pourtant le rouge monter à ses joues : honteuse, peureuse, effrayée à l'idée que celle qui se trouve désormais derrière elle ne vienne la tourmenter une fois de plus, areum à l'esprit embrouillé, areum qui a jusque-là cru qu'elle pourrait vivre ses années d'université sans douleur. l'impression de retourner en arrière s'éveillant, l'envie de crier à la terre l'entièreté de ses problèmes, espérer de l'aide mais avoir pour unique compagnie le néant. continuel. areum à l'envie d'attention éphémère, sans pour autant qu'on la remarque, qu'on lui réponde, qu'on daigne lever le petit doigt pour elle. vie antérieure qui la rattrape soudainement, dure réalité qui subsiste dans son existence difficile : areum est désespérément seule. elle n'ose pas se retourner, de peur de croiser son regard. les pupilles sombres de gaeun, fourberie qu'elle connaît par coeur, méchanceté dissimulée derrière sa beauté et ses sourires à faire tomber pâlir le soleil. elle le sait areum, qu'elle n'hésitera pas à s'en prendre à elle, si elle fait le moindre faux pas, consciente qu'elle n'a pas changé. aucun d'entre eux n'a évolué. et pourtant, elle se plaît encore à prier sa bonne étoile, à espérer que ses anciens bourreaux sont passés à autre chose, qu'ils ont tous grandi.. tout simplement. c'est toi qui leur a dit de nous enfermer ? mains toujours agrippées à la poignée de la minuscule salle de bain. areum tremble, et elle repense soudainement à l'entrevue forcée qu'elle a eue avec l'instigatrice de tous ses maux, quelques jours auparavant. yerin. yerin, vipère adulée, idole de l'université à l'aspect si lisse et pourtant, intérieurement démon. est-ce que yerin t'a demandé de me faire du mal ?

Était-ce un cauchemar ? Pouvais-je seulement me réveiller et oublier d’avoir été confronté aussi brutalement à elle ? Le destin était une chose bien cruelle, et au fond… je savais que je méritais ce qui m’arrivait. Le repentir amenait son lot de douleur, et elle me faisait face, l’affliction personnifiée qui tambourinait à la porte comme une folle. La panique guidait chacun de ses gestes et elle était si puissante que je la sentais couler sur moi. Glacée jusqu’aux os, la peur s’insinuait entre nous, elle déployait ses tentacules et m’étouffait. Peut-être pouvais-je seulement rester silencieuse et espérer que quelqu’un ouvre la porte avant que je n’aie à croiser son regard ? Je me fourvoyais lamentablement car au même moment, elle se tourna vers moi. Les yeux rougis par la terreur et m’accusait déjà de son malheur. Mon cœur loup un battement avant de prendre un rythme effréné et je me trouvais idiote face à elle. La décence aurait voulu que je lui répondre, mais j’en étais incapable… et avant même que je ne puisse formuler quelconque pensée, elle m’attaquait de nouveau. Yerin… Si ce prénom lui inspirait une angoisse légitime, j’en ressentais également une peur indicible. « N… No… No… Non. » bégayais-je. Reprends toi Gaeun… me fustigeais-je intérieurement. Je perdais mes moyens et je fus prise d’une crainte nouvelle… et si elle souhaitait se venger ? Là dans cette pièce exiguë, sans témoin, sans aucune aide… Je ne lui en tiendrais sans doute pas rigueur, après tout il était normal qu’elle réclame son dû. Mais je redoutais néanmoins de passer entre ses mains.

Je sentis quelque chose se rompre en moi, et contre toute attente, j’affichais désormais un sourire serein. « Voyons… si Yerin voulais vraiment s’en prendre à toi, elle serait venue elle-même. » Une évidence qui n’en était pas réellement une… Mais je décidais de reprendre les armes par crainte qu’elle ne soit celle qui donne le premier coup. Je m’imposais un calme intérieur digne des plus grands sages et aussitôt mes mains cessèrent de trembler. « Saches que ça ne me plait pas non plus d’être enfermée avec toi… » D’un geste délicat mais hautain, je l’écartais de la porte et m’en approchais. Exactement comme elle l’avait fait, j’appuyais sur la poignée… en vain. La panique menaçait de reprendre le dessus et je mordais mon inférieure d’appréhension. J’étais coincée avec elle… pour combien de temps ? « Bon… il n’y a qu’à patienter ce n’est pas si grave… » Je l’ignorais royalement, car je savais que si je croisais son regard… j’en resterais pétrifiée.