⊱ histoire

« The bond that links your true family is not one of blood, but of respect and joy in each other’s life. »

Trois heures du matin, des pleurs déchirent la nuit. Les parents n’y prêtent toutefois pas attention. Ils se retournent à peine dans leur lit, se disant que la nounou, Kwang Ja, s’occupera bien du bambin. Une pensée anodine qui effleure l’esprit ensommeillé de bien des couples vivant la même situation. Cette employée était douce, avenante et s’occupait à merveilles de leur petit Jun Hee depuis sa naissance, donc depuis environ un an et demi. Par pur manque d’intérêts et d’attention, ils n’avaient jamais cherché à se lier plus personnellement à elle. Elle avait d’excellentes références, venait d’une bonne agence et faisait très bien son travail.

Ils ne savaient donc pas que sa petite fille de six ans était gravement malade et qu’elle ne réclamait qu’une chose : un petit frère ou une petite sœur. Kwang Ja était dévorée par le dilemme, n’arrivant pas à concevoir un second enfant assez rapidement pour exaucer le souhait de son petit ange qui menaçait de la quitter à tout moment…

C’est ainsi que l’amour maternel l’emporta finalement sur la raison.

Elle était désolée pour les Ahn, mais elle allait bien s’occuper de lui, c’était promis ! Même qu’elle le ferait probablement mieux qu’eux. Certes, la jeune femme n’avait pas autant d’argent que le couple, mais elle lui donnait clairement plus d’amour et d’attention. N’était-ce pas le plus important pour le bon développement de l’enfant ?

Puis, Hana allait tellement être heureuse. Hana allait tellement choyer d’amour ce petit bout de chou.

Lorsque Kwang Ja rentra à la maison, elle réveilla son mari et lui raconta comment elle avait sauvé le bébé des griffes d’affreux personnages ! Naïf et ne doutant jamais de sa femme, il la crut et l’aida à emballer leurs affaires sans rechigner. La petite Hana, toujours endormie, fut embarquée dans la voiture et ainsi, la famille disparue sans laisser de traces. Ils conduisirent toute la nuit, ainsi qu’une partie de la matinée. C’est que la mère avait peur que des gens mal intentionnés ne les suivent ou ne les retrouvent ! Du moins, c’était ce qu’elle affirmait à son mari…

Même s’ils restèrent cachés, pendant une bonne semaine, dans un petit village perdu à des kilomètres de Taean, ville où les parents du petit vivaient, Kwang Ja n’eut d’autres choix que d’éventuellement avouer la vérité à son mari. Après tout, son comportement était étrange. Elle avait coupé ses cheveux, n’osait pas sortir et lui avait demandé de ne pas l’appeler par son prénom en public. Sans parler du fait qu’elle refusait qu’on allume la télévision, de peur de voir son visage aux nouvelles. Elle devait être la principale suspecte dans l’enlèvement du petit Ahn Jun Hee, elle en avait conscience. Toujours aussi coopératif et éperdu de sa femme, son mari ne put que comprendre ses motivations et devint officiellement son complice. Il était du même avis qu’elle, leur petite Hana méritait le nuage sur lequel elle vivait depuis qu’elle avait posé les yeux sur le bambin. Ils allaient être de merveilleux parents pour lui aussi, il ne manquerait jamais d’affection.

Un problème se dessinait toutefois à l’horizon. Hana semblait avoir un regain de santé, depuis l’arrivée du petit Jun Hee, mais ils savaient que cela ne saurait durer. Elle aurait éventuellement besoin de soins médicaux… qu’ils ne trouveraient pas dans cette cachette.

De faux papiers furent faits pour toute la famille, les renommant… Kwang Ja changea son prénom pour Eun Sil, son mari opta pour le prénom Jin Hyung. Ils gardèrent toutefois le prénom des enfants, qui n’auraient pas compris le changement soudain. Au moins, Hana appelait toujours ses parents « maman » et « papa », chose qui leur simplifiait presque la tâche avec elle. La famille Lee devint ainsi la famille Noh et ils allèrent s’installer dans un petit appartement au propriétaire peu regardant sur la paperasse, dans un quartier oublié de Séoul. Loin de Taean. Perdus dans une mer en constante marée haute d’activités.

Les Noh étaient de vrais anges. Ils aidaient toujours leurs voisins, se montraient gentils avec tout le monde. Jun Hee grandissait, s’épanouissait, baignait dans une constante douceur… Il aimait tendrement ceux qu’il prenait pour ses parents et adorait cette grande sœur qui le lui rendait bien. Le petit frère semblait avoir eu un effet bénéfique sur la santé d’Hana, puisque les crises de cette dernière se firent moins intenses et plus espacées. Certes, elle devait toujours suivre ses traitements, prendre sa médication et se montrer plus sage que les autres enfants de son âge, mais elle avait une vie plus longue que les médecins ne la lui avaient prédite à sa naissance.

« I know all those words, but that sentence makes no sense to me. »

Jun Hee n’a jamais trop compris comment les événements ont réussi à s’enchaîner jusqu’à cette fameuse journée. Il avait 14 ans, un adolescent comme les autres qui revient de l’école. Le truc super con qu’il faisait à tous les jours. Il se demandait ce que sa mère préparait pour le repas et pensait déjà aux histoires qu’il voulait partager à son aînée. C’est qu’il y avait cette autre élève, mignonne à croquer, qui lui avait offert des cookies maison et lui avait proposé de déjeuner ensemble à la pause du lendemain ! Événement qu’il pensait être important dans sa jeune vie ! Il avait donc besoin de conseils ! Le pauvre, comme tout le monde, avait pris sa routine et vie toute simple pour acquis. Comment aurait-il pu savoir que jamais il n’aurait ce fameux rendez-vous avec la fille à lunettes ?

La police était chez lui. Pourquoi ? Était-il arrivé quelque chose à sa famille ?

La peur au ventre - la peur d’apprendre une mauvaise nouvelle, d’avoir perdu quelque chose, quelqu’un… n’importe quelle nouvelle sauf celle qui l’attendait – il entra chez lui. C’est ainsi qu’il apprit qu’il ne s’appelait pas Noh Jun Hee, mais bien Ahn Jun Hee. Il apprit ainsi le vrai nom de ceux qui affirmaient être ses parents, alors qu’ils n’avaient aucun lien de sang avec lui. Les policiers et tout le monde lui balançait toutes sortes d’informations, mais, il n’y comprenait rien. Il n’en admettait rien. Comment ces gens si adorables pouvaient-ils être les monstres qu’on essayait de lui faire croire ? C’était impossible. Eun Sil et Jin Hyung avaient toujours pris soin de lui, ils avaient toujours été là pour lui, ils l’avaient toujours aimé. La séparation fut déchirante. L’adolescent n’était pas d’accord, il voulait rester avec ceux qu’il considérait comme sa famille. Il ne voulait pas les voir être embarqués pour être amenés au poste de police ou peu importe où. Il était hors de questions de partir sans Hana.

Hélas, tout cela arriva.

On lui présenta deux inconnus qui le regardaient avec une étrange lueur dans les yeux. Cela faisait maintenant 13 ans qu’ils se demandaient s’il était encore en vie, s’il allait bien, s’il était heureux, s’ils allaient le revoir… Ils savaient qu’il avait grandi, mais ne l’avaient jamais vraiment réalisé. Pas pleinement. Ils étaient choqués de voir ce jeune adolescent, alors que le dernier souvenir qu’ils avaient de lui était un bébé souriant. Il n’y avait pas eu un jour sans qu’ils ne pensent à lui, sans qu’ils ne regrettent de ne pas s’être levés cette fameuse nuit… Leur mariage avait frôlé le divorce maintes fois, continuant d’avancer sur la corde raide. S’ils étaient restés ensemble, c’est plus parce qu’on ne divorce pas, quand on est de leur génération, que par amour. Cependant, quand ils avaient retrouvé un semblant d’espoir, ils avaient voulu faire leur effort pour lui.

Lui ? Il ne faisait que demander à voir ses vrais parents… Ceux qu’il connaissait, mais surtout sa sœur. Connaissant ses soucis de santé, il s’inquiétait profondément et la réclamait constamment. Évidemment, voir qui que ce soit de son ancienne famille lui était interdit. Il déménagea dans un quartier complètement à l’opposé de celui où il vivait, emménageant avec sa famille biologique qui s’y était installée récemment, après avoir eu la piste du détective privé qu’ils avaient engagé. Il était impossible pour Jun Hee de sortir seul, il était toujours accompagné de sa mère ou de son père. Ils ne faisaient plus confiance à des inconnus pour veiller sur leur fils. L’adolescent tenta de fuguer à quelques reprises, mais ses parents étant devenus étouffants dans leur protection le retrouvait toujours en moins de deux.

Il finit par abandonner… espérant pouvoir revoir Hana, lorsqu’il serait majeur et libre. Malheureusement, ça non plus, ça n’allait jamais arriver. Il avait quinze ans et demi lorsqu’il apprit son décès. La nouvelle le détruisit. Aujourd’hui encore, Jun Hee en veut à ses parents biologiques de ne pas l’avoir laissé aller la voir, ni de l’avoir laissé assister à ses funérailles. C’est qu’ils avaient peur qu’il n’y croise les Lee et que ces derniers ne lui mettent des idées dans la tête.

« In some ways, siblings, and especially sisters, are more influential in your childhood than your parents. »

Suivi en thérapie, Jun Hee apprit à s’ouvrir petit à petit et à connaître ses parents. Il faut admettre qu’il n’avait pas l’impression qu’on lui en laissait le choix… Ils lui accordèrent graduellement confiance et libertés, même s’il ne fallait pas rêver en couleurs : il lui restait interdit d’avoir contact avec les Lee. L’adolescent s’adapta à sa nouvelle vie, bien que son ancienne lui manquait. Elle avait été plus simple, moins riche, certes, mais au moins, il ne s’était jamais senti seul. Chose qui n’était pas le cas, malgré cette omniprésence constante de ses parents biologiques. Il se fit quelques amis à l’école et après, de très, très, très nombreuses visites à la maison sous supervision de ses parents, il eut finalement le droit d’aller chez eux. Il avait dix-sept ans, lorsqu’il passa une nuit qu’il n’oublierait jamais chez une de ses meilleures amies. Cette dernière s’intéressait particulièrement au maquillage et aimait tout transformer, tout déguiser…

-« Aaaaallleeeez ! Ce sera si drôle ! Laisse-moi te refaire une beauté ! » insista-t-elle pour la énième fois de la soirée, lui faisant des yeux de biche.

Jun Hee lui lança un regard de travers puis soupira. C’est qu’elle lui avait déjà fait la pédicure… Il avait les ongles d’orteils peints d’un joli vert pailleté ! Ainsi qu’une manucure glam noir et maintenant, elle voulait s’attaquer à son visage ?! Qu’allait-il devenir de lui ?

-« D’accord… Mais ça reste strictement entre nous ! » râla-t-il, finissant par céder pour le plus grand plaisir de la créatrice.

La demoiselle, toute excitée, lui promit tout ce qu’il voulut, beaucoup trop contente d’enfin trouver un cobaye coopératif ! Des heures de travail minutieux donnèrent un résultat… à peu près potable ? Jun Hee devait admettre qu’il avait vraiment l’air d’une fille ! Un peu moche, mais avec un peu de raffinement, il serait jolie ! Il en était plus que surpris, un brin intrigué, très amusé.

Il laissa son amie le maquiller et l’habiller, pratiquant son art sur lui en cachette, pendant quelques semaines encore. Elle arriva même à le convaincre de la laisser poster une photo d’eux ensemble, avec des bubble tea, sur les réseaux sociaux. Tous deux furent surpris, mais surtout pliés de rire de voir que tout le monde demandait qui était la belle amie de la demoiselle. Souhaitant honorer la mémoire de cette sœur aînée inconnue de ses nouveaux amis, Han Anna fut officiellement baptisée. Ils continuèrent le petit jeu des photos sur les réseaux sociaux, recevant toujours de plus en plus de commentaires positifs. Puis, Jun Hee décida de créer les comptes officiels d’Anna, durant sa dernière année de lycée, se lançant même dans la folie de YouTube. Grâce à l’aide précieuse de son amie et de beaucoup trop de tutoriels regardés sur internet, il arrive à présent à se transformer tout seul. Chose qui ne l’empêche toutefois pas de continuer à rire et à traîner avec son amie qui connaît son secret le plus récent.