maman elle dit toujours que t'es important. papa il dit que t'es un petit miracle venu par surprise. des mots jolis pour cacher cette réalité qui l'est un peu moins, pour peindre de couleurs les rideaux noircis de leur vie. cadet, le bébé de bien des années qui te séparent de tes aînées desquelles tu n'es aucunement proche. la famille, tu as vite compris que ce n'était pas ce qui allait te définir.

tu es resté longtemps, trop d'années, entre les effluves d'alcool et les cachets que tu ne savais identifiés. avec le recul, tu te dis chanceux dans ton malheur. ton père n'était pas un alcoolique de type violent et ta mère s'enfermait dans la salle de bain pour vivre sa toxicomanie, du coup tu n'étais pas exposé de plein feu à leur conduite de mauvais goût. tu as sept ans la première fois qu'on est venu te chercher, t'extirpant de ce milieu déclaré insalubre couplé avec de la négligence à ton égard. incompréhension total, toi tu as toujours vécu ainsi. tu es né pour apprendre à ne pas s'attendre à ce que tes parents te prennent vraiment en charge. ils te disent quoi faire, tu le fais. ce n'est pas la famille parfaite, sauf que c'est la tienne et tu tires un confort évident à y être.

on ne tient pas compte de tes protestations, de tes supplications. parce que t'es trop jeune pour prendre tes décisions, trop jeune pour comprendre l'ampleur de la situation.

soudainement, tu te retrouves avec des gens que tu ne connais pas, qui te demandent comment va l'école et si tu as bien fait tes devoirs. tu n'as plus à aider dans la cuisine ou d'autres tâches qu'on te dit réservées aux plus grands. ils te posent des questions. trop. trop et ça t'angoisse de devoir t'exposer à autrui, de devoir ouvrir la bouche afin de parler de toi, de ce que tu vis, de ce que tu fais. tu te contentes du minimum, de fournir des réponses courtes et claires sans aller dans les détails. le malaise ronge ta chair, se glisse sous ta peau pour ne laisser que la morsure glaciale de l'inconfort.

tu as autant envie d'être là qu'un cheveux sur une soupe.

sauf que ton comportement n'a rien de difficile à vivre. non, tu t'occupes de tes petites affaires sans que personne ne te le demande et tu participes même activement aux tâches ménagères. l'ombre au tableau vient de tes parents qui digèrent mal de se faire enlever leur unique fils. le dernier rejeton. alors, ils traquent la famille qui te sert de nouveau foyer, les harcèlent un peu, mais jamais pour que ce soit assez aux yeux de la police. juste assez pour que la famille change d'idée à ton sujet et on te transfert.

un cercle vicieux, une routine encrée qui s'échelonne sur des années. stabilité inexistante à ton quotidien, tu préfères ne pas t'attacher aux gens qui jurent être les derniers. parce qu'ils ne le sont jamais. ils finissent tous par craquer, ils finissent toujours par se dire qu'ils préfèrent jongler avec un adolescent problématique que des parents biologiques terrifiants. autant ils te glissent leurs belles paroles pour dire que ton calvaire s'arrête au seuil de leur porte, autant à chaque fois cela finit par tourner au mensonge et tu te retrouves avec le goût amer de la déception. on te dorlote pour mieux te jeter.

même l'école reste un milieu qui n'a rien de réconfortant où tu te plais à aller. ton quartier changeant trop souvent pour avoir le temps de te faire des amis, les amitiés que tu forges malgré tout sont fragiles. personne ne veut se lier avec le nouveau, encore moins lorsque les rumeurs commencent à suivre le pas. on parle surtout de tes parents - et jamais en bien. cela pourrait t'énerver, mais ça ne te fait rien. tu te concentres sur le jour où tu pourras te poser dans ton coin, tranquille, avec tes petites affaires.

sauf que tu ne veux pas te suffire du minimum. tu veux quelque chose de confortable, de chaleureux, de mieux que ce que tu as connu toute ta vie jusqu'à présent. tu ne veux plus être qu'un simple étranger entre quatre murs froids. alors, tu te dis que l'université est le meilleur choix, que c'est peut-être ce qui permettra à ta vie de prendre un tournant moins gris dans laquelle tu tentes désespérément de peindre un peu de couleurs.