« – ♡ T’es sûre que y’a tout ce qu’il faut ? – Noam, pour la énième fois, oui ! – Ok … mais si jamais y’a un problème, tu … – J’ai élevé quatre enfants alors chéri fais un peu confiance à ta mère s’il plait ! ». Tout le monde l’attend, Yuta à la porte, Ingrid, Kaede et Leo dans la voiture. Mais soudainement, il a plus envie d’y aller, il voudrait rester avec le petit ange qui désormais fait partie de sa vie, de la leur. Il a l’impression que c’était hier, la première fois qu’il l’a tenu dans ses bras alors la laisser ici, même si c’est avec ses parents, il a du mal. Mais s’il annonce subitement qu’il vient plus, il sait que Yuta lui fera la peau (parce que de base, c’était son idée à lui) et que ses frangins décideront probablement de rester aussi. Alors un dernier baiser sur sa petite joue rosie et le voilà qui quitte la demeure familiale, non sans l’aide de son père qui le met gentiment à la porte. « Quoi ? » qu’il dit un air faussement agacé à toutes les paires d’yeux qui le fixent comme le papa gaga qu’il est devenu.

C’est vrai que ce bébé, il y croyait plus. Il avait fini par penser que Yuta et lui n’avaient pas le droit à la vie de famille. C’est Yuta qui l'avait poussé à y croire encore, à ne pas baisser les bras quand un autre refus était venu broyer leur espoir de famille alors qu'il était prêt à faire de la place pour un petit être. Sans lui, Noam aurait abandonné depuis longtemps mais il était heureux aujourd’hui de ne pas l’avoir fait parce qu’il n’aurait jamais eu la chance de pouvoir être papa. Il avait encore du mal à y croire, quand il se réveillait le matin aux côtés de Yuta, qu’il était fier d’appeler son mari. Quand il repense à ces dix années écoulées, un grand sourire lui mange le visage, les yeux perdus dans ses souvenirs d’enfant pas encore prêt à devenir un grand. Y’a des moments où il pensait que sa vie était terminée, où il ne pensait pas qu’il pourrait continuer à avancer. Et il pense à Robyn pour qui la vie s’est arrêtée après vingt-trois années. C’est pas beaucoup vingt-trois, pour lui qui en a maintenant trente-et-un. Alors il continue pour elle, se dit qu’elle est toujours avec lui même si son absence est toujours aussi pesante, surtout dans les moments importants ; son mariage, son premier film, l’adoption d’Eiko, il sait qu’elle l’aurait adoré et qu’elle aurait été une super tata.

Dans un soupir, il chasse cette alternative à sa vie, celle où Robyn est encore là pour se concentrer sur son vrai présent, celui où malgré les malheurs qui ont parsemé son chemin, le bonheur a su faire sa place pour y demeurer encore de belles années. « Ça y est, on est arrivés ! » qu’il annonce quand le moteur s’arrête. Sous sa poitrine, son palpitant embarque pour les montagnes russes. Il sait pas s’il est excité ou bien stressé ou bien les deux à fois. Il réajuste sa veste une dernière fois avant de suivre la petite bande jusqu’à l’entrée de l’université. Les premiers visages lui apparaissent flou comme dans un vieux film à la bande abîmée. Ils observent les anciens élèves en se demandant si quelqu’un le reconnait jusqu’à ce qu’il aperçoive un visage familier. Et même plusieurs. Y’a Bora et Inseong accompagnés de leurs deux fils avec, il croit reconnaître, Katerina et aussi Romee dont la tête ne cesse de tourner dans tous les sens, probablement à la recherche d’un visage connu. « Kaede si tu cherches Romee, elle est là-bas » qu’il indique d’un mouvement de la tête.

Il se tourne alors vers Yuta, ce même sourire ineffaçable sur le bout de ses lippes. « T’es partant pour aller dire bonjour ? » et puis à côté du bar, il aperçoit Elena, sa cousine. « J’en reviens pas qu’elle m’ait pas dit qu’elle venait ! ».

«Oh bordel…J’aurai jamais du venir… » Pourquoi t’es venue ? T’en sais rien. T’aurai pas du. En plus tu parles même plus à la moitié de cette fac, et te voilà, les fesses à l’air en train d’uriner sur ces toilettes que t’avais quitté il y a bien dix ans auparavant. Pendant que tu te laves les mains, tu regardes ton visage. T’as bien vieilli. Tu te trouves pas trop moche mais tu vois déjà les rides qui apparaissaient. Et ouais mon gars, même à 30 ans et des poussières ça se voit. T’as tout de même le teint pâle. Faut dire qu’en ce moment tu subis pas mal. Quelle idée d’avoir interrompu le traitement en même temps. Tu ne peux t’en vouloir qu’à toi-même. Toi qui pensait en finir avec la vie à 27 ans, voilà que tu te retrouvais à la SNU, les cheveux encores plus longs, le bassin élargi, les seins gonflés et cette âme qui poussait petit à petit dans ton ventre. Pourquoi avait-il fallut qu’ils organisent cette fichue soirée maintenant ? Ils auraient pas pu le faire il y a 4 mois ??? Il y a quatre mois quand ton ventre était encore plat ? Non. Au pire tu pourrais toujours mentir et prétexter que t’avais mangé trop de chips. Mais bon. Ça serait inutile de leur mentir sur ça. Il fallait s’y faire : t’étais enceinte, t’étais enceinte c’est tout. Est-ce que tu connaissais le sexe de l’enfant ? Non. Est-ce que tu connaissais le père ? Oh que oui. Et rien que pour ça t’avais hâte de faire sortir ce petit monstre pour voir la tronche qu’il aurait.

C’est donc vêtu d’une longue robe, épousant tes formes que tu rejoins la soirée, par chance t’es toujours en contact avec certains, dont Romee. Romee que t’as expressément pas vu depuis 4 mois, et que t’as pas prevenu parce que t’es qu’une conne qui veut sa grossesse en paix comme l’avait fait Kylie Jenner il y a onze ans de ça. Pourquoi t’es venue déjà ? Ah oui. Car t’es une petite idiote. Peut-être qu’avec un peu de chance, le père de ton future mouflet va venir à la rescousse si tu lui envoie un message. Anyway. Ça y est t’as envie de vomir. Ca y est ça te donne des nausées, ça y est t’as vu Romee. Ok. Ok. Ok. Fait comme si tu l’as pas vu. Fait comme si t’as vu personne. Voilà, va au bar, prend une coupe de champagne ni vu ni connu, et restes-y pour bouffer tous les bons trucs qu’il y a a manger. T’as faim. T’as faim. T’as faim. Tout va rentrer dans tes fesses mais tu t’en fous. T’as faim. Et l’enfant aussi. Puis tu t'en fiches. Dans deux mois tu quittes le pays. T'accoucheras en Norvège. Ça c'est la seule chose dont tu es très certaine.

Neuf ans. C'est fou ce que le temps peut vite passer lorsqu'on enchaîne les projets, mais son quotidien n'était pas plus tranquille lorsqu'il arborait encore les pavés du campus. Aujourd'hui, il a la trentaine passée, son propre cabinet d'avocat et sa réputation durement forgée, avec pourtant toujours cet intérêt majeur pour la photo – en témoigne l'objet qu'il a rapporté aujourd'hui, prévisible. Mais il n'y a pas que ça qui le rend heureux et fou à la fois, presque tous les jours – fou d'amour pour eux, même s'ils lui font souvent tourner la tête. Et aujourd'hui ne fait pas exception alors que sa tendre épouse l'a convaincu de venir à cette réunion d'anciens élèves. Il avouera qu'il n'y était pas friand, mais le fait d'avoir ses fils avec lui rendrait la chose plus attrayante, il suppose. Il est finalement devenu curieux et maintenant le voilà. Après avoir garé la voiture, il récupère sa sacoche et tente de calmer son fils aîné, six ans et survolté depuis la naissance. Hé, ne t'éloigne pas de nous et tiens-toi bien aujourd'hui, s'il te plait. Il s'accroupit devant son garçon pour remettre son pantalon en place, un sourire malgré le ton ferme, car Haneul est parfois intenable – toujours – et il y a des moments où In Seong doute d'agir en bon père. Il a peur de répéter les erreurs du sien. Il se relève, le prend par la main et se décide enfin à rejoindre tout le beau monde. Il ne cherche personne si ce n'est la silhouette de sa femme, qu'il trouve assez vite et s'en approche, il entoure sa taille d'un bras et se penche vers elle pour lui déposer un baiser sur la tempe. C'est surtout pour signifier sa présence, saluant Yao et Katerina avant de voir une tête bien plus familière ; quelle surprise. « Yun ? Hé ! Je ne pensais pas te voir ici, ça fait plaisir. » Même s'ils ne se sont pas perdus de vue, on ne peut pas dire qu'ils aient l'occasion de se voir tous les quatre matins. Ce sont des hommes bien occupés. Byul n'a pas l'air si heureux d'être là alors que Haneul vient tirer sur la manche de l'ado. « Laisse le garçon tranquille Han. » Aujourd'hui, ils ont au moins ça en commun et.. autre chose apparemment. Deux pères mariés.