« Vous n'êtes pas réels » furent les premières paroles qu'il prononça depuis son arrivée ici. Ces mots furent les premiers à quitter sa bouche, ronronnant dans le fond de sa gorge comme un souffle désespéré. Ses sourcils se froncèrent, son visage se crispa, étirant son visage dans une mine totalement effrayée. A côté de lui, des murmures, des questions. Sa mère ne semblait pas savoir où se mettre ni quoi faire, et son père ne cessait de lui dire qu'ils étaient vraiment là. Pour lui prouver, il voulut s'approcher mais Jude tourna sèchement son visage de l'autre côté, reculant à peine sur le lit. Il ferma les yeux, répétant ces mêmes mots, sa frimousse devenant de plus en plus perdue. Il secoua le visage à plusieurs reprises, refusant silencieusement cette vérité qui s'exposait face à lui. Des larmes roulèrent sur ses joues, sa respiration se coupant un moment pour reprendre un peu plus chaotiquement. Ce n'était pas réel. Tout ceci... ce n'était pas vrai. Ce n'était qu'une pure invention de son esprit. Il devait rêver, ou cauchemarder, il ne savait pas vraiment. Même l'odeur aseptisée de la chambre dans laquelle il se trouvait n'était qu'une pure invention de sa tête totalement chamboulée. Rien n'était vrai, et il était encore bloqué. Il ne voulait plus avoir de faux espoirs. Il ne voulait pas espérer quelque chose qui ne viendra jamais. Il ne faisait que rêver depuis que ce bateau s'était arrêté pour les récupérer, lui et une autre survivante, sur cette île abandonnée. Ce n'était qu'une illusion. Quand il rouvrira les yeux, il sera de nouveau encore et toujours là où il était depuis six mois à présent. Il sera sur cette plage chaude, les grains de sable glissant sous ses doigts alors que le son des vagues se moquerait de lui au loin. Il sera face à ce beau bleu éclatant mais tellement destructeur. Il sera à nouveau perdu, sûr que sa vie finirait ainsi, perdu sur une île dont tout le monde ignorait l'existence. Quand il rouvrira les yeux, il verra à nouveau le visage de cette jeune femme. Il verra à nouveau cette immense tableau vert derrière eux, ses arbres par milliers qui peuplaient cette terre isolée. Quand il rouvrira les yeux, tout disparaîtra. Les médecins, ses parents, ce lit, cette chambre. Tout redeviendra poussière. Un souvenir, un mirage.
Ses jambes remontèrent contre son torse, son visage s'enfouissant contre ses genoux, disparaissant à la vue de tous. Ses larmes doublèrent en intensité, des spasmes secouant son corps affaibli alors qu'il murmurait qu'il était encore perdu, que personne ne viendrait les chercher et qu'ils allaient mourir ici. Il répéta que ses parents ne pouvaient pas être là, que ce n'était pas possible. Il susurra qu'il les avait vus plusieurs fois avant et qu'à chaque fois, tout disparaissait dès qu'il se réveillait, le plongeant un peu plus dans ce cauchemar qu'il vivait. Il se boucha les oreilles, refusant d'écouter ces mensonges que son esprit lui chantait.
Et après plusieurs minutes, son corps cessa de trembler. Ses larmes cessèrent de couler, et ses lèvres cessèrent de bouger. Dans un air désespéré, il redressa son visage, ses mains se posant à plat sur ce lit doux, lui arrachant un son plaintif. Cela semblait si réel, et pourtant tout allait s'envoler en fumée.
Quand il rouvrit les yeux, rien ne bougea. Ses parents étaient encore là, et les médecins autour de lui le fixaient sans rien dire. Quand il rouvrit les yeux, cette fois, rien ne bougea.
Il y avait deux solutions à tout ce cirque : soit il était devenu complètement fou, soit... « Vous êtes vraiment là... », qu'il articula difficilement, des larmes coulant à nouveau sur ses joues encore mouillées.

Jude ne s'était pas toujours vu comme un fou. Non. Au début, on le voyait comme un fou, un passionné un peu trop perdu dans ses propres rêves. Lui se voyait comme un grand rêveur. Il vivait d'espoirs et de chance. Il voulait bouleverser son quotidien, s'offrir une meilleure vie. Offrir une meilleure vie à ses parents surtout. Le chant et la danse étaient des passions qu'il cultivait depuis sa plus tendre jeunesse. A peine plus haut que trois pommes, il se dandinait déjà sur les chansons que son père écoutait, un sourire aux lèvres alors que son géniteur riait de ses gestes. Il baragouinait plus qu'il ne chantait en synchronisation décalée avec les chanteurs qui passaient à la télé. Chanteurs qu'il pointait du doigt, répétant doucement à ses parents que lui aussi, un jour, passerait à la télévision. Sa mère soupirait tendrement à chaque fois, lui ébouriffant les cheveux avant de lui offrir une douce esquisse. Elle ne disait rien et se contentait de l'observer, secouant faiblement son visage, tandis que son père hochait simplement le visage, restant silencieux aussi. Et lui, il continuait de rêver. Il regardait l'écran de la télévision comme s'il ouvrait la porte sur un autre monde. Son regard brillait d'admiration pour ces personnalités qui défilaient, chantant et dansant, donnant tout ce qu'ils avaient. Il imaginait leurs vies, et ne cessait de se dire qu'elle devait être belle, et tranquille. Epuisante, sans doute, mais beaucoup moins difficile que sa vie actuelle. Sa famille ne roulait pas sur l'or. Son père accumulait deux boulots pour tenter de combler le trou fin du mois. Sa mère travaillait à temps partiel dans un magasin du quartier, s'occupant de lui durant son temps libre. Par rapport à ses camarades de classe, il n'avait pas tous les jouets qu'il souhaitait. S'il avait de la chance, il pouvait en avoir à Noël, sinon il devait se contenter du minimum. Et il s'en contentait. Il ne pouvait pas non plus porter les derniers vêtements à la mode. Ils étaient hors de prix pour ses parents, et hors de questions qu'ils dépensent autant dans un bout de tissu alors qu'ils devaient remplir le frigo, payer le loyer et d'autres factures importantes. Le plus souvent, Jude portait des vêtements d'occasion ou des habits récupérés par sa mère auprès de ses collègues au magasin. Pour certains jouets, c'était un peu la même chose.
Quand son père fut contraint d'abandonner l'un de ses postes pour des raisons de santé, sa mère fut obligée de travailler à plein temps pour espérer compenser la perte de salaire engendrée. Ces temps-là furent spécialement dures et compliquées pour tout le monde. Ils ne mangeaient pas toujours à leur faim, ils ne pouvaient pas s'organiser des sorties en famille. Un petit pique-nique, parfois, dans le parc, quand ses parents n'étaient pas trop épuisés de leur semaine. Et sinon ils regardaient un film ensemble le samedi soir.

Et en grandissant, Jude voulait réellement changer cela. Il voulait offrir à ses parents le repos qu'ils méritaient. Il voulait qu'ils arrêtent enfin de trimer, de se ronger la santé. Il voulait qu'ils puissent savourer la vie plutôt que de la subir. Il voulait leur donner tout ce qu'eux ne pouvaient pas s'acheter par faute de moyens. Ils méritaient plus que n'importe qui de se poser un instant et de simplement profiter sans savoir si l'argent allait être suffisant à la fin du mois.
On pouvait alors se dire que Jude songerait à devenir médecin, ou avocat. Qu'il songerait à se plonger dans de nombreuses années d'étude. Qu'il allait faire de son mieux pour être au plus haut afin de donner le meilleur à ses parents. Jude était bon à l'école, voire même très bon. Il était parmi les premiers de sa classe et ses professeurs étaient persuadés qu'il pourrait obtenir une bourse. Il pouvait, s'il le voulait, même étudier à l'étranger afin d'emmagasiner plus de connaissances.
Mais Jude était entêté à réaliser son rêve. Il voulait devenir une star de la chanson. Ce rêve qu'il avait fut la cause de nombreuses disputes au sein de leur petit appartement. Ses géniteurs étaient contre, répétant sans cesse que ce n'était pas un métier, que rien n'était sûr dans ce milieu et que même s'il y arrivait, sa carrière pouvait se finir aussi vite qu'elle avait commencé et il n'aurait plus rien. Sa mère était totalement hystérique, s'agaçant excessivement et son père lui disait de se sortir cette idée de la tête. C'était mignon quand il était petit, ça l'était moins à son âge. Un jour, son père fut tellement énervé par tout ceci qu'il lui hurla qu'il n'avait aucun talent et que de toute façon, il n'était pas taillé pour ce monde-là. C'était hors de portée, il devait le comprendre.
Quand il en parlait à l'école, on le regardait avec pitié, un faux sourire aux lèvres en lui souhaitant d'y arriver.

D'habitude docile et obéissant, Jude n'écouta pas ses parents cette fois et renonça à l'idée de poursuivre ses études ou commencer à travailler pour « mettre de côté ». Sachant qu'eux n'avaient pas été capables de le faire à cause de nombreux soucis, qui pouvait lui assurer qu'en travaillant après le lycée, il y parviendrait ? Il n'avait rien à perdre alors, non ? Ce fut avec cette pensée qu'il passa une audition sans le dire à ses géniteurs.
Il espéra les surprendre et leur dire qu'il avait été accepté, mais la lettre ne vint pas. Quelques mois passèrent, et toujours en secret, il passa une seconde audition, un peu moins confiant que la première fois. Peut-être que son père avait raison, et qu'il n'avait pas de talent.
Sauf qu'on lui prouva le contraire. Il fut accueilli à bras ouverts par une agence réputée, à sa plus grande surprise. Et quand il l'avoua à ses parents, ils s'agacèrent un peu plus, soupirant fortement en lui disant qu'il finirait par comprendre son erreur.

Son erreur, il ne l'avait comprise que bien plus tard. La célébrité, ce n'était pas ce qu'il croyait. Ce n'était pas aussi facile qu'il l'avait pensé. Ce monde n'était pas aussi lisse et beau qu'il l'avait cru. Ses parents avaient eu raison sur ce point-là, il n'était pas fait pour ça, pour ces crasses, ces coups bas, ces mensonges. Il avait eu du mal à gérer la pression, et la fatigue, agissant parfois plus par automatismes qu'autre chose. Ce monde-là était abominable et personne n'avait réellement idée de ce qu'il se passait une fois le rideau fermé.
Le chant et la danse restaient tout de même des passions dévorantes pour Jude. Il s'entraînait continuellement. Parce que c'était nécessaire mais aussi parce qu'il adorait ça. Il avait connu des périodes où chanter ou danser ne lui donnait pas envie, mais à chaque fois il se retrouvait dans cette salle d'entraînement à se laisser porter par la musique pour crier son épuisement, son malaise à cause de certaines situations, pour évacuer la pression.
Il était devenu connu. En un rien de temps, il put voir sa popularité grimper en flèche. Il ne savait pas vraiment comment ni pourquoi mais son caractère simple et doux semblait plaire. Ses fans se faisaient de plus en plus nombreux.euses. Et grâce à ça, les chiffres sur son compte en banque ne cessait de monter. Il aurait pu arrêter, mais il ne pourrait plus subvenir aux besoins de ses parents, et c'en était hors de question. Alors il continuait. Avec du mal parfois, mais il continuait.
Sa mère s'était excusée, de ne pas avoir cru en lui. Son père avait pleuré en regardant sa première apparition à la télévision. Ils étaient fiers et ils n'avaient cessé de lui dire en plus de s'excuser de ne pas l'avoir soutenu comme ils auraient dû le faire. Jude ne pouvait pas les abandonner et tout laisser tomber sous prétexte qu'il était fatigué, physiquement et psychologiquement parfois. Ce n'était pas simple, mais pour eux, il devait le faire. Après tout ce qu'ils avaient fait, il leur devait bien ça.

Connaissant d'abord une carrière solo, l'agence monta ensuite un groupe avec divers talents, l'y intégrant directement. Il savait qu'un groupe pouvait rapporter plus gros qu'une seule personne et il n'en fut pas réellement étonné. Et puis, travailler en équipe le changerait.
Il avait encore néanmoins quelques activités de son côté. Le plus généralement, il s'agissait de shooting, ou de quelques apparitions ici ou là. Il sortit un disque, aussi, entre temps mais le plus gros de ses agissements était avec le groupe.

Vint alors cette idée de l'agence de le mettre dans un bateau vers un lieu dont il avait oublié le nom. Tout ça pour réaliser quelques photos sur une plage, et un seul épisode d'une émission dont il n'appréciait pas vraiment le concept. Mais il n'avait pas son mot à dire, il ne put refuser, se retrouvant à bord de ce navire. Se retrouvant accroché à ce dit navire quand la tempête arriva. Il était venu avec quelques membres du staff donc plutôt entouré, mais se retrouva totalement seul dès que la mer entra dans une colère sourde, engendrant d'immenses vagues. Le vent vint s'associer à elle. La bateau ne résista pas cette nuit-là.
Le lendemain il se retrouva sur une plage, l'esprit totalement embrouillé alors qu'un homme lui ordonnait de se réveiller. Il comprit après quelques heures qu'ils avaient fait naufrage et qu'ils étaient perdus sur une île, apparemment déserte. Ce fut le début d'un cauchemar qui dura six mois.
Ce fut difficile de s'adapter mais encore plus d'accepter la situation dans laquelle ils étaient. Nam Sik était persuadé que les secours arriveraient vite, étant donné que Jude manquait à l'appel. Il l'avait reconnu et il savait que tout le monde allait s'inquiéter pour lui. Hors les jours passaient et aucun secours ne pointa le bout de son nez. Nam Sik devenait de plus en plus agité, craignait pour sa vie, inquiet car la nourriture était maigre et qu'ils étaient deux. Il devenait méchant, parfois, dans ses propos. Il refusa même que Jude ne mange ce poisson qu'il venait de pêcher, car c'était lui qui avait tout le travail et non l'idole. Que l'on excuse son manque de compétence en matière de pêche ou de survie... Cependant Jude avait faim. Il ne voulait pas mourir de faim sur cette île – même s'il se disait qu'il allait très certainement mourir. Alors ce soir-là, quand Nam Sik semblait endormi, il mangea un faible morceau de poisson, histoire de. Il ne comprit pas comment, en l'espace d'à peine quelques secondes, il se retrouva le dos plaqué contre le sable encore chaud, des mains serrant sa gorge alors que des insultes fusaient dans tous les sens. Il parvint à se libérer, galérant à retrouver une respiration normale. A cause du manque mais aussi à cause de la peur. Il ne tenta plus de manger l'un de ses poissons ensuite et se contenta des fruits qu'il trouvait.

Pensant qu'ils étaient les seuls survivants et que la chance n'était pas du tout de son côté, il fut plus que surpris de trouver une jeune femme, elle aussi survivante de ce naufrage. Il la prévint, au sujet de Nam Sik, ne s'arrêtant pas sur les détails – il lui dit tout de même qu'il était dangereux, et qu'il frôlait la folie plus les jours passaient.
D'un accord commun, ils décidèrent de laisser Nam Sik de son côté, jugé trop agressif. Ils s'en allèrent vers un autre coin de l'île. Coin qu'ils occupèrent donc pendant six longs mois. Il avait totalement perdu espoir. Il ne croyait pas qu'on viendrait les chercher un jour.

Et pourtant, la vie, la chance, le destin, les éléments... tout lui prouva le contraire, puisqu'il était là aujourd'hui.