⊱ histoire

Lève la tête quatrième fils d'un quatrième fils
tu verras peut-être les étoiles



Lorsque la tournée se termine, ses vêtements sentent un mélange de sueur et de friture qui l'écœure lui-même tandis qu'il gare son scooter rafistolé de scotch de toutes les couleurs devant le petit restaurant qui a bien voulu l'engagé.
Lui et sa gueule de gonzesse jap' comme on disait au lycée. Le patron lui donne toujours un sac en papier craft portant des taches de gras dans le fond. Des restes de nourritures qu'il lui offre de bon cœur, ne pouvant le payer plus malgré les heures indus où il le faisait bosser.
"Tu deviendras un bon journaliste!" qu'il lui avait balancé un jour, faisant levé un sourcil à l'intéressé qui se demandait bien ce qu'il avait fait pour mériter un tel compliment. L'homme le connaissait à peine, à part demandé un coca remplit de glaçon parfois et récupérer des commandes à livrer, c'est à peine si il lui avait jamais adressé la parole.
Il fait une courte révérence en souhaitant une bonne nuit et s'en va, comme presque tous les jours. Le sac de papier craft dans la main, l'autre se massant la nuque en soupirant dans la nuit déjà bien pleine. Son souffle se perd dans des ruelles en côte et dans des avenues où des hommes alcoolisés s'agrippent à des bras de jeunes filles qui pourraient avoir l'âge de leurs filles. Sanam a bien envie de laisser sa détresse prendre la forme du soju dans son corps. Il se questionne un instant, mais la maigre paye d'aujourd'hui doit payer ses frais, il ira épancher sa soif plus tard.

Son coude le gratte, une croute s'est formée, là où il est tombé la veille, arrachant une partie de sa peau sous son t-shirt sur le bitume. Il a sommeil, mais pas d'argent pour prendre des transports et encore une bonne demi-heure de marche pour retrouver le minuscule appartement qu'il loue au dessus d'un restaurant de nouille. Ca sent toujours un peu l'oignon dans le bâtiment, mais on s'y fait.
Au moins, la proprio ne faisait pas la fine bouche, et lui accordait parfois quelques jours de délais pour le loyer. Elle avait même un peu pitié de lui, ce gosse métisse dont les frères étaient parti à l'étranger pour une vie meilleur, dont le père décédé n'avait laissé qu'une maigre somme d'argent à divisé en cinq et dont la mère était reparti au Japon. Pauvre femme qu'elle avait du penser. Sanam n'aimait pas la charité, mais au moins les personnes charitables lui foutaient la paix.
Son appartement est à peine plus petit que celui dans lequel il a grandit. Il n'y a qu'une pièce qui sert pour tout et les toilettes sont sur le palier, mais on s'y fait. A côté de chez lui il y a une mère et sa fille, elles vont à l'église tous les dimanches. Lui ne croit pas aux pouvoirs de ce qui reste dans quatre murs, il croit en la liberté des mouvements et des choses. C'est certainement pour cela qu'il tient le coup.
Tout fini par changer.

Pour une fois, il ne s'est pas battu sur le chemin du retour, les mecs à mobylettes qui trainent parfois dans le quartier devaient avoir autre choses à faire. Ca lui évitera de se bleuir plus les phalange encore.
La porte grince un peu. Par reflexe, Sanam dit en japonais qu'il est rentré. Seule le silence lui répond. Il retire son t-shirt en un mouvement de bras, charge son téléphone après avoir posé le sac de poulet frit sur la petite table de camping qui lui sert de table basse et s'écroule sur son matelas à même le sol. Le regard vide porté sur le mur. Il aurait du boire ce soir, il se serait endormis plus vite.

Dans quatre heures son téléphone sonnera pour lui annoncer qu'il est temps d'aller en cours. Comme à son habitude il prendra une douche rapide, enfilera des vêtements propres après avoir mangé les ailes de poulet et un peu de soupe pour le petit déjeuner.
Il resterait l'un des meilleurs élèves de sa classe, malgré son manque de concentration et sa fâcheuse tendance à sortir des cours avant la fin, à s'endormir sur les bancs devant l'entrée de l'établissement et à bailler à n'importe quel moment.
S'il avait le temps, il mettrait enfin à bien son projet d'association universitaire, former un syndicat, montrer sa révolte au monde. Mais il est trop fatigué, trop empêtré dans sa pauvreté aussi pour réussir ce paris fou qu'est de changer la société coréenne.