D’aussi loin qu’il était en mesure de se souvenir, elle avait toujours été là, dans cette grande maison qui était la sienne. Ni une étrangère, ni une invitée, pas une camarade jeux, ni même une sœur, pas une voisine ou une quelconque fille de passage. Elle vivait là sans être chez elle et il se demandait bien pourquoi. Il avait bien essayé de jouer avec elle, mais sa mère était venue le chercher et l’avait emmené dans sa salle de jeux. « Jae Hwan, tu ne dois pas jouer avec la fille de la domestique. » Pourquoi c’était interdit ? C’était seulement une petite fille, il trouvait ça injuste. Si ça se trouve c’était elle qui ne voulait pas jouer avec lui. Alors le petit gaillard de 6 ans était allé la voir et lui avait tiré les tresses. C’était là que ça avait commencé. Une satisfaction farouche avait traversé son regard chaque fois qu’elle pleurait ou se fâchait, surtout s’il en était la cause. A l’inverse, quand elle pleurait après s’être écorchée le genou, il n’éprouvait aucune satisfaction et même il avait un peu de peine pour elle. Mais jamais il ne venait directement lui tendre la main, se contentant de passer devant la mère de Karen il disait « Ta fille est tombée, tu devrais mieux la surveiller. Elle a un bobo. » Du haut de son jeune âge, il était déjà convaincu que c’était parce qu’il n’aimait pas voir ses affaires être abîmées. Et il était vrai que ses parents, qui lui achetaient tout ce qu’il désirait, n’avaient pas à se plaindre du manque de soin de leur fils. Déjà tout jeune enfant, il faisait attention à ses affaires.

Enfant, ses parents le tenaient éloignés des médias, lui répétant bien souvent que tout dans la vie était une question de rôle et qu’il ne devait jamais réellement se montrer tel qu’il était en public. Le jeune garçon se fichait bien de ce que ses parents étaient sous les feux des projecteurs, à la maison quand ils étaient enfin avec lui, il était le centre de leur univers et c’était bien tout ce qui importait. Jae Hwan ne pouvait pas se plaindre de ne pas avoir des parents qui faisaient tout pour lui, s’il se plaignait ou avait besoin d’une oreille attentive, ils étaient toujours prêts à laisser leur travail de côté pour lui. Seulement on ne pouvait pas dire que leurs conseils lui étaient d’une grande aide, bien souvent lorsque son avis divergeait de celui de ses parents, gentiment ils lui disaient « Mais non Jae Hwan, tu te trompes. » Alors le petit garçon se laissait influencer sagement par les opinions de ses parents, allant même jusqu’à renier ses propres avis et ses propres sentiments pour se calquer sur ceux que ses parents jugeaient approprier. Frappez la domestique ? Dans sa tête c’était mal, mais maman disait que c’était là sa place alors que dire ? Il détournait le regard et changeait de pièce, ça ne le concernait pas.

Avec le temps, son caractère ne s’arrangeait pas. Autrefois petit garçon sensible, ses parents en avaient fait un jeune homme capricieux, autoritaire, fier et hautain. S’il devait avoir des qualités, il les cachait bien derrière tout ces faux-semblants. Il avait tout ce qu’il désirait, tout sauf cette fille. La petite sauvageonne qui traînait chez lui. Pourquoi il ne l’aimait pas ? Il ne s’en souvenait même plus, ou tout du moins faisait-il semblant de ne pas savoir. En réalité, il était agacé par son refus constant de le laisser approcher. Au départ, tout n’avait été qu’un jeu. Des tresses tirées, un croche-pied dans un couloir, mais avec l’âge les jeux changent. Il se savait beau, il se savait populaire, pourquoi son charme ne marchait pas sur elle ? Il ne pouvait nier qu’elle était belle, mais il en connaissait des mieux, des plus jolies, des plus dociles, des plus riches. Alors pourquoi c’était-elle qui l’obsédait ? A mesure qu’elle le rejetait son obsession pour elle grandissait, à mesure qu’il était obsédé, il tentait de l’approcher, plus il l’approchait et plus elle le rejetait, ils étaient dans un cercle vicieux. Pourquoi ne voulait-elle pas voir qu’il était différent avec elle ? Parce que malgré tout, il continuait d’agir comme si elle ne comptait pas plus qu’une autre, pourtant en son for intérieur et s’il avait été honnête avec lui-même, il aurait vu qu’elle était particulière pour lui. Parfois lorsqu’il lisait un livre il faisait exprès de le laisser en évidence dans la bibliothèque dans l’espoir qu’il lui plaise autant qu’il lui avait plus. S’il la sentait triste, il annulait ses soirées pour rester avec elle, à l’embêter. Jae Hwan avait beau savoir qu’elle ne l’aimait pas, qu’il l’embêtait, au moins quand c’était lui qui lui causait du souci elle ne pensait plus à ses autres problèmes. Il savait qu’elle partageait du temps avec lui parce qu’il l’avait exigé auprès de sa mère, mais il en était satisfait.

Finalement ses efforts commencèrent à payer, ce fut d’abord de timide sourire que Karen lui adressait. Son cœur de jeune homme était bien naïf, il avait mauvais caractère mais dans le fond, il ne savait juste pas comment aimer les gens autrement que comme on le lui avait appris. Il ne comprenait pas ce changement soudain chez elle, mais il en profitait, puis qu’elle était demandeuse, il n’était pas décidé à l’en empêcher. Pourtant il ressentait bien que ses baisers à elle n’avait pas le même effet sur lui que les baisers de n’importe quelle fille. Quand elle l’embrassait il voulait en redemander toujours plus, alors qu’à l’ordinaire il se contentait d’une fois. La vie du jeune homme ne pouvait pas aller mieux, les contrats affluaient, il commençait à se faire un nom. En résumé, sa vie prenait le tournant parfait. Karen était jolie, Karen était drôle, Karen était simple et même s’il râlait souvent il appréciait réellement ces moments avec elle qui lui rappelait qu’il était aussi un être humain et pas qu’un enfant de riche. Avec elle il découvrait la vraie vie, celle des gens qui n’avaient pas tous les privilèges que lui avaient. Il découvrait le plaisir de manger une glace en marchant sur une place bondée, la joie que procurait le sourire d’une grand-mère à qui l’on disait bonjour, le bonheur qu’il pouvait ressentir en voyant le sourire de Karen quand elle caressait un chien.

Des rendez-vous il en eut avec elle, mais un seul le marqua réellement. Alors qu’ils marchaient tranquillement avec elle, il avait été attiré du coin de l’œil par une salle d’arcade. Jae Hwan faisait des tas de choses, mais certainement pas jouer dans des salles d’arcade. Ce genre d’endroit n’était pas adapté à son statut selon ses parents. Il se retenait devant Karen de s’extasier sur la tonne de jeu, mais dans le fond, son cœur d’adolescent frustré était vraiment content de se trouver dans un tel endroit. Alors qu’il s’essayait à un jeu de Super Mario, il avait vu du coin de l’œil un garçon offrir une peluche à sa copine, la jeune femme afficha un tel sourire que Jae Hwan ne pu que reporter son attention sur Karen. Est-ce qu’elle aussi sourirait comme ça s’il lui en offrait une ? Au début il secoua la tête et reporta son attention sur ce qu’il faisait, mais dans un coin de son esprit, le sourire de la fille un peu plutôt continuait de flotter dans son esprit. Ce fût plus fort que lui, il devait gagner cette peluche pour elle, même s’il trouvait ça niaiseux et que selon lui c’était une perte de temps et d’argent. Et c’est là qu’il vit la peluche, un hamster marron et noir, c’était ridicule mais tout de suite il regarda la jeune femme. Elle avait une tête d’hamster lorsqu’elle était fâchée et même s’il la charriait à ce sujet, il trouvait ça terriblement craquant. Obtenir cette satanée peluche lui prit du temps tout ça pour s’entendre dire qu’elle n’en voulait pas. Il faut dire que le « Tiens Karen, elle est moche finalement, je n’en veux pas. » n’avait pas dû aider. Une fois de plus, il fit face à un refus de sa part. Ce qu’elle était agaçante et directive, il n’aimait pas ce genre de fille. Elle lui tenait toujours tête, pour qui se prenait-elle ? Elle aurait dû être contente qu’il s’intéresse à elle. Mais il insista tellement qu’au bout du compte et bien qu’agacée, la jeune femme accepta le présent.

Par la suite, les choses semblèrent s’améliorer entre eux, elle avait toujours son sale caractère, il était toujours autant riche et imbuvable, et même s’il refusait de se l’avouer, il passait avec elle d’excellent moment. Pour lui, Karen devait avoir enfin compris qu’il ne servait à rien de s’opposer à lui, il obtenait toujours ce qu’il voulait, que ce soit par la force ou le chantage, elle ne faisait pas exception. Seulement, les choses allaient se gâter. Désormais, il faisait presque tout avec Karen, non pas qu’il n’ait pas d’amis, mais il préférait sa compagnie bien qu’elle ne semblait pas s’en rendre compte. Il avait fini par prendre ses gestes pour un encouragement de la part de la jeune femme. C’est pourquoi, lors d’une de leurs nombreuses sorties, il décida de retenter sa chance avec elle. Au coin d’une rue, il l’avait attiré contre un mur pour partager un moment d’intimité avec elle. Il savait qu’il prenait des risques, mais l’occasion était trop belle. Ses doigts avaient enfin pu toucher sa peau et ses lèvres sur les siennes pouvait enfin se délecter de cette sensation qu’il avait désiré et attendu. Enfin il obtenait ce qu’il voulait d’elle, après tout ce temps à essayer de l’avoir, Karen avait capitulé. Sa victoire était délicieuse, tout comme le corps de sa partenaire qu’il avait eu le plaisir de toucher du bout des doigts. Mais le lendemain, la presse avait tout gâché. Exposée son intimité, exposée son baiser, exposé Karen. Karen. Il réalisa qu’il devait la protéger de la tourmente médiatique. Aussi étrange que cela puisse paraître c’était à elle qu’il avait pensé en premier et non à sa carrière. Mais sa mère s’y était opposé et l’adolescent qui écoutait ses parents avaient repris le dessus. « Tu vas faire quoi avec une fille pareille ? Elle ne t’apportera jamais rien de bon ! Reprends-toi Jae Hwan. » Et fidèle à lui-même il n’avait pas bronché. Il n’avait rien dit, même lorsqu’il avait su que sa mère avait giflé Karen. Ils n’étaient pas ensemble, elle n’était qu’un jouet dont il aurait fini par se lasser de toute façon.

Le jeune acteur reprit le cours de sa vie, tentant d’effacer ces petits instants de bonheur qu’il avait connu. Mais il ne lui fallut pas longtemps pour que l’envie de reprendre son jeu malsain avec elle naisse à nouveau. Dès que ses parents étaient absents, Jae Hwan ne ratait pas une occasion de retrouver Karen, mais le rejet auquel il faisait face le rendait encore plus amère vis-à-vis d’elle. Pourquoi lui avait-elle fait croire qu’elle s’était entichée de lui pour le rejeter à nouveau ? Qui était-elle pour se permettre de le faire tourner en bourrique. Il était persuadé d’être fâché, mais dans le fond peut-être était-ce de la tristesse. Il se rappellerait toujours de la fois de trop, celle ou à bout de nerf il avait fini par attirer l’attention de la mère de Karen. Dans la buanderie, il avait emprisonné ses poignets et face à son refus et à son dégoût évident il lui avait dit « Tu crois que tu peux m’échapper ? De quel droit tu me repousses ? Tu n’es même pas chez toi ici. » A cet instant, il avait signé la fin de leur relation tumultueuse, si relation il y avait eu. La jeune femme et sa mère avaient juste disparu, laissant pour toute trace de leur existence qu’une lettre de démission et un hamster en peluche. S’il avait jeté plusieurs fois cette dernière à la poubelle, au bout du compte elle avait toujours finit par retrouver sa place sur sa table de chevet.

Jae Hwan ignora le départ de Karen, c’était comme si pour lui, elle n’avait jamais existé. Quand sa mère parlait d’elle et de sa mère il se contentait d’ignorer le sujet. Qui était-elle ? Personne. Et pourtant, son jouet lui manquait. Pas parce qu’il appréciait sa présence plus qu’autre chose, mais parce qu’il n’y avait qu’avec elle que ça n’avait pas été facile. Quand il souriait à une fille aussitôt elle lui tombait dans les bras. Il était acteur, il était célèbre et il était riche. Les premiers temps il se contenta de vivre cette vie dissolue qui lui convenait bien. Au moins de cette manière il ne pensait plus à Karen. Ses amis d’enfances étaient là, toujours prêt à faire la fête, toujours prêt à le voir dépenser des sommes astronomiques pour leurs soirées. Dans son entourage, personne ne se valait. Profiteur. Menteur. Égoïste. Faux. Superficiel. Mais il ne voulait pas ouvrir les yeux, pas tout de suite. Finalement cette vie le lassa petit peu par petit peu, les ragots, les potins, les scoops, avaient fini par le lasser. Le jeune homme trouvait du réconfort dans les livres, plus précisément à la bibliothèque. C’est là qu’il commença à rencontrer des gens, des gens qui tenaient à apprendre qui il était derrière ses costumes Gucci. Des gens qui s’intéressaient à lui en tant qu’individu. Les sourires se firent plus sincère, les secrets se partagèrent, il s’ouvrait au monde, prenant conscience peu à peu de la vie réelle.

Sa mère n’accepta pas son besoin d’indépendance. Mais il fallait qu’il s’émancipe de cette famille malsaine qui voulait contrôler ses émotions. A 21 ans, il n’était plus un enfant, il avait bien trop traîné, s’était bien trop réfugié dans les jupes de sa mère. Sa vie devait commencer et tout seul. Si d’abord il avait pris un immense appartement à Gangnam, il s’y était senti bien trop seul. Ses amis venaient pourtant le voir, mais quel était l’intérêt de vivre dans un endroit ou seul ses pas résonnaient quand il marchait ? Cette immensité vide le faisait se sentir mal à l’aise. Par moment il imaginait ce que sa vie serait sir Karen était là, elle était si bruyante, elle aurait comblé le vide de sa maison. Il lui arrivait après 2 ans de rêvasser encore à son sujet, il ne comprenait pas pourquoi elle continuait de le hanter. Ce n’était pas comme s’il n’y avait pas eu d’autres femmes dans sa vie. Finalement il avait choisi un autre appartement, plus petit cette fois et dans un quartier moins riche, plus populaire, plus simple, plus agréable et vivant. Quand il avait fait son choix, il n’avait pu s’empêcher de s’imaginer le genre d’appartement qui aurait convenu à Karen. Aurait-elle aimé une terrasse ? Aurait-elle apprécié les murs en brique ? Son obsession prenait de l’ampleur à mesure que ses parents occupaient moins de place dans sa vie.

Un jour, une amie lui dit « T’es amoureux Jae Hwan. » Il en fut fâché. Lui amoureux d’une fille comme Karen ? Elle qui l’avait abandonné alors qu’il s’occupait si bien de ses affaires ? Mais en fait, elle n’était pas un objet. Elle était une femme et il avait mal agit. Était-il prêt à le reconnaître ? Pas encore. Il se focalisa sur sa nouvelle vie, sur ses nouveaux projets, sur ses contrats, ses relations. Ses parents ? Bien qu’il leur soit reconnaissant pour leur amour, il ne voulait plus les laisser impacter sa vie, il ne supportait plus leurs mensonges face aux caméras. Il voulait se détacher de ça et essayait d’être sincère envers lui-même, envers ses fans, envers ceux qui comptaient pour lui. Le jeune homme commençait à comprendre, loin des sarcasmes de ses parents, la détresse des pauvres gens. Peu lui importait que l’on pense de lui qu’il se servait des dons qu’il faisait aux associations pour améliorer sa notoriété. Lui savait ce qu’il en était. Et toujours quand il faisait une action gentille, dénuée de mauvaises intentions, il pensait à Karen. L’aurait-elle aimé s’il avait été lui-même ? S’il avait réagi pour prendre sa défense ? Peut-être. Mais il n’aurait sûrement jamais de réponse. 6 ans c’était long et elle n’était jamais réapparut, ce n’était pas maintenant qu’elle le ferait. Ce n’était pas faute de l’avoir cherché, il avait retourné la ville, il avait été dans ses endroits préférés, il avait même été questionner les gens de sa faculté, mais rien, c’était comme si d’un coup, elle n’existait plus. N’avait-elle été qu’un mirage ?

Tasse de café à la main, chaussure en cuire au pied, montre hors de prix au poignet, devant sa télé grand standing il avait écarquillé les yeux. Karen à la télé ? C’était impensable, c’était inimaginable. Avait-elle été aussi belle il y a 6 ans ? Sa tasse tomba à ses pieds, s’éclatant sur le sol, inondant son parquet hors de prix et ses chaussures si fragiles. Quelle importance ? Elle n’était plus. La femme qu’il avait aimée ne rigolerait plus jamais ? C’était trop de souffrance pour un seul être. Pourquoi avait-il été odieux déjà ? Par fierté ? A quoi ça servait d’avoir de la fierté si c’était pour être seul ? Il ne l’avait pas vu depuis 7 ans, il ne s’était jamais senti seule, mais d’un coup, c’était comme si la terre ne tournait plus rond. C’était impossible de croire un seul instant que Karen, la Karen si courageuse, si pleine de rage, si fougueuse, puisse mourir dans un naufrage. Il n’y croyait tout bonnement pas. Pendant 6 mois sa télé resta allumée dans l’espoir d’y voir des bonnes nouvelles. Ses amis s’inquiétaient sérieusement de son état. Leur Jae Hwan si sociable, si plein d’entrain se morfondait devant sa télé depuis ce qui semblait une éternité. Devant les caméras le jeune homme faisait de son mieux, mais il était évident que son esprit était ailleurs. Tout le monde autour de lui se demandait s’il finirait par faire son deuil. Et finalement la nouvelle tomba, elle était vivante, il avait eu raison d’y croire. Jamais sa petite Karen, ce petit hamster boudeur n’aurait pu se laisser avoir de la sorte. Elle était trop coriace pour ça. Il devait la retrouver, quitte à faire tous les appartements de Séoul un à un.