De retour à Séoul après quelques semaines au calme, les excuses quant à ton absence en cours s’amenuisent. À l’heure qu’il est, le coach doit être au courant depuis un moment de ta triste contribution au stage intensif. Une épaule en vrac, un énorme trait tiré sur ta carrière. C’est avec appréhension que tu quittes l’inconfort du bus pour t’engager dans les jardins de l’université. Le chemin le plus long, mais aussi le plus paisible pour rejoindre le complexe sportif. Là-bas t’attendent inévitablement des remontrances et des solutions que tu n’es pas prêt à entendre.

Quitter l’université, tu l’as envisagé. À défaut de pouvoir le faire tant que tu n’es pas diplômé, t’es bien décidé à quitter le campus, peut-être même l’équipe - à quoi bon rester... Tu vas perdre ta bourse, c’est évident ; mais tout ici te rappelle ton rêve et ça te file la gerbe. Le téléphone sonne, ton retard est remarqué. Tu réponds et dans la précipitation, tu ne sens pas que ton portefeuille se fait la belle. Il jonche au sol tel un déchet, tandis que tu t’éloignes en trottinant. Le coach n’a vraiment pas l’air content, tu le seras tout autant en remarquant l’objet manquant.   



* le portefeuille et son contenu : un petit étui en cuir noir assez usé, à l'intérieur carte d'identité, cb, carte étudiant, quelques pieces, 17 000 won en billets, une photo de famille qui date un peu, diverses cartes et papiers où figure un numéro de téléphone.

Jian cligna des yeux, levant son bras pour protéger sa vision sensible des rayons trop agressifs du soleil après une matinée passée dans l’atelier au sous-sol des bâtiments de la faculté de sciences. Elle était arrivée alors que le soleil se levait, réveillée par un élan soudain d’inspiration, qui l’avait poussé hors de chez elle et jusqu’au laboratoire. Son intuition s’était révélée exacte : l’ajout d’un circuit indépendant pour ajouter un degré de liberté de mouvement au prototype pouvait être grandement synchronisé avec le circuit central, ce qui devrait permettre un comportement beaucoup plus harmonieux du prototype une fois que les modifications de l’algorithme correspondant seraient implémentées.
Bref, une demi-douzaine d’heures plus tard, les modifications hardwares faite, Jian avait été mise à la porte par son encadrant avec comme instruction directe de ne pas se lancer sur l’algorithme avant le lendemain à une heure raisonnable (Jian interpréta cela comme heure de bureau), et de passer un peu de temps dehors.

Hébétée, et épuisée après la fin de ces quelques heures de concentration intense, Jian prit machinalement le chemin des jardins du campus, ou elle se laissa tomber sur un banc. Les yeux fermés, elle profita un instant de la brise fraiche, avant de sortir sa gourde et de se désaltérer, afin de lutter contre le lancinement qu’elle sentait depuis un moment déjà battre dans ses tempes. Se décidant à aller acheter quelque chose pour un déjeuner tardif, son retard tomba sur une forme sombre au sol. Il s’agissait d’un portefeuille en cuir assez usé, identifia-t-elle en le ramassant, et quand elle regarda autour d’elle afin de savoir si le propriétaire était encore dans les parages, les lieux étaient déserts.

Jian hésita un instant avant d’ouvrir le portefeuille. S’agissait-il d’une intrusion volontaire dans la vie privée d’un inconnu si elle consultait des documents personnels sans son autorisation ? ne ferait-elle pas mieux de le remettre à la sécurité du campus ou aux objets trouvés ? Mais le campus de la Séoul National University est grand, et Jian était bien consciente que le propriétaire du portefeuille aurait bien plus de mal à récupérer son bien que si elle ne s’informait pas au moins un minimum sur son identité. Ouvrant finalement le portefeuille, elle y trouva une carte étudiant indiquant un nom qu’elle ne connaissait pas, divers moyens de payements, et différentes cartes et papiers. Elle s’apprêtait à abandonner, et apporter le portefeuille au secrétariat des études de sports, surement la plus appropriée si on devait croire les documents trouvés, lorsqu’elle tomba sur un numéro de téléphone. Après un instant, elle le composa.
« Bonjour. Je suis Wei Jian, je souhaiterai m’adresser à Chae In Joon à propos d’un portefeuille », dit-elle quand la tonalité s’arrêta.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la matinée fût interminable. Content, le coach ne l’était pas, tu as senti une certaine peine dans ses propos. Une déception peut-être aussi grande que la tienne, mais aucune colère contrairement à toi. Après des heures à rejeter la moindre solution qu’il a cherché à t’apporter, tu ressors de la piscine plus agacé par ce que tu as interprété comme de la pitié. Les poings serrés lorsque tu claques la porte de son bureau, c’est en direction des dortoirs que tu marches à présent.

Après y avoir récupéré quelques vêtements, tu t’apprêtes à quitter le bâtiment quand une sonnerie retentie. Un numéro inconnu, trois tonalités, l’ia de ton mobile n’indique pas de spam alors tu décroches sans conviction : « Allô. » À l’autre bout, la voix d’une femme. Plus préoccupé par l’horaire du prochain bus, tu n’écoutes que d’une oreille préférant de loin courir après le temps. « C’est moi-même. » et ajoutes presque aussitôt : « Je peux savoir comment vous avez eu mon numéro ? » Peut-être que si tu avais écouté, tu aurais eu la réponse à cette question tout seul.

Généralement, Jian trouvait les conversations téléphoniques plus simple que les conversations en face à face. Elle n’avait pas à se soucier d’interpréter correctement les expressions de ses interlocuteurs, ni à s’inquiéter de son manque d’expressivité, qu’on lui avait déjà reproché. La jeune femme avait compris assez jeune qu’elle avait un lien assez distant avec ses émotions, le processus très, trop, intellectualisé se transmettait ainsi difficilement sur son visage, et rendait par la même occasion une identification de celle des autres plus difficile.
De plus, il existait une forme de chorégraphie dans la majorité des appels téléphonique. Entourés de formules de politesses, qui ne dissimulait qu’une interaction prédéfinie. Il y avait quelque chose de rassurant dans l’idée que l’interaction suivait un schéma prédéfini.

Ce n’était pas vraiment le cas dans cette situation. Profitant de la prise de parole de son interlocuteur, elle prit une inspiration silencieuse, se remémorant la phrase explicative qu’elle avait mentalement préparée.

« Il était dans un portefeuille que j’ai trouvé par terre, dans les jardins de l’université. expliqua Jian, se passant une main dans les cheveux afin d’essayer de dissiper un peu de l’énergie nerveuse qui l’habitait. Je me suis permise de l’ouvrir, et Chae In Joon est le nom indiqué sur les papiers d’identité à l’intérieur. Si vous avez perdu votre portefeuille, pourriez-vous me le décrire afin que je m’assure que c’est bel et bien le vôtre ?»

Vite vite, tu traces dans les allées pour quitter le campus. Tu te sens épié depuis ce matin, jugé, comme si ta décision de quitter le club était connu de tous. Fragment de honte que tu ressens envers toi-même, seul responsable de cette blessure que tu caches à tes proches. Alors tu fuis l’université et cette atmosphère trop lourde, préférant squatter chez Sangjun. Les yeux sur ta montre, plus que dix minutes avant d’être libéré. La conversation se poursuit, la jeune-femme parle d’un portefeuille égaré, mais elle doit se tromper.  

Ledit étui est dans ta poche, il n’en a pas bougé. Erreur constatée lorsqu’à l’intérieur du jean, tu ne l’y trouve pas. Panique alors : « Une minute ! » tu imposes à ton interlocutrice. Le sac ouvert à la hâte est fouillé méticuleusement. Rien à faire, il n’y est pas. « Fais chier. » murmuré. Résigné et maintenant convaincu qu’il ne s’agit pas d’un scam, tu réponds : « Euh ouais, bien sûr. C’est... Il est en cuir, noir, hum... il doit y avoir une photo dans le compartiment de gauche et euh... ah les derniers chiffres sur ma carte étudiant sont 6,1,7. » par ces informations, t’espères avoir pu confirmer ton identité.  

Le silence qui régna sur la ligne le temps que son interlocuteur vérifie ses affaires laissa réaliser à Jian qu’elle était presque revenue à son point de départ. Son sac sur le dos, elle avait librement arpenté les sentiers qui traversaient le jardin, tournant toujours à droite, plus par autopilote que portée par une décision quelconque. Après une seconde d’hésitation, elle se força à s’asseoir, replaçant à nouveau une mèche dans ses cheveux pour s’occuper. Jusqu’à ce qu’une décision soit prise, autant rester aussi près que possible de l’endroit où elle avait retrouvé le portefeuille.

« Ça correspond. confirma la jeune femme, heureuse à l’idée que la partie retrouver le propriétaire s’achève enfin. Le lui retourner ne devrait être qu’une question de logistique : Je suis dans les jardins du campus. Si vous voulez le récupérer maintenant, on peut se retrouver quelque part. Sinon, on peut se donner rendez-vous à un moment plus propice, ou je peux le laisser à l’accueil d’une des facultés si c’est plus simple ? »

Mais si ce problème de portefeuille égaré approchait de sa résolution, ce n’était pas le cas de son déjeuner tardif. Réalisant que s’acheter de quoi se rassasier était moins imminent que prévu, la jeune femme profita de la réponse de son interlocuteur pour fouiller dans son sac, espérant y trouver une pomme, qu’une Jian de passé plus prévoyante et organisée que celle du présent aurait pensé à mettre dans son sac.